La lavandière en son miroir...

Publié le par Michel Aêt

À Villiers-Saint-Denis, le temps serait-il parfois "immobile", pour reprendre le titre des mémoires de Claude Mauriac ?

Il suffit , un matin d'été, tandis que de légères brumes achèvent de se dissiper au loin, dans la vallée de la Marne, de descendre des hauteurs de Villiers, là où la départementale 842 offre des panoramas somptueux, vers le centre du village par la rue de la cressonnière.

Après avoir franchi le Grand rû, on aperçoit le vieux lavoir : comme autrefois, une lavandière - parfois plusieurs - y lave son linge ; le patchwork des couleurs de tissus se reflète dans l'eau apaisée, entre deux séries de rudes coups que lui assène de ses mains vigoureuses une plantureuse et sympathique septuagénaire.

On la voit aussi, pour des usages culinaires sans doute, emplir ses bouteilles de l'eau qui coule à ce lavoir, et que de petits garcons viennent boire, leurs mains jointes en forme de coupelles.

Elle paraît douce et peu calcaire, celle qu'aucun panneau ne déclare impropre à la consommation.

Où sont-ils les villages à une heure de Paris où se goûte ainsi l'eau, comme celle d'un torrent de montagne ?

Où sont-ils, ceux où les lavoirs vivent encore leur vie de lavoir et non de monument historique protégé, inscrit à l'Inventaire, restauré à grands frais et à coup de subventions publiques, comme mis sous cloche pour faire durer la mémoire de ses fonctions passées et celle des voix de femmes dont l'écho s'est depuis longtemps perdu dans l'immense nuit des générations disparues ?

...ces voix qui, d'un bord à l'autre du bassin, ont inlassablement exprimé joies et chagrins, cris et pleurs, peurs et rumeurs.

Mères de soldats de l'Empire perdus à Vilnius ou sur les bords de la Bérézina, mères de conscrits d'août 14 partis la fleur au fusil, mères de résistants fusillés, l'eau du lavoir de Villiers-Saint-Denis semble constituée de vos larmes quand je la regarde, ce dimanche 30 juillet, inerte, pas même irisée par un souffle d'air en ce jour d'été chaud, impeccable miroir où semblent encore se refléter vos visages oubliés.

Publié dans Carnets du quotidien

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