In memoriam...

Publié le par Michel Aêt

Qui fut passé hier 7 décembre à Villiers-Saint-Denis eût été frappé par le grand nombre de villageois présents dans la grande rue, et le premier coup d'oeil lui eût permis de déceler  leur présence à une cérémonie d'obsèques.

De fait, notre église médiévale était pleine à 11H00 pour accompagner vers sa dernière demeure l'épouse du restaurateur du village, Jocelyne SCHLOSSER, emportée par un cancer à 49 ans.

Il y a des instants dans la vie d'une communauté villageoise où le temps semble s'arrêter, où les querelles, les inimitiés semblent s'estomper l'espace de quelques heures.

Les ferments de division inhérents à toute "tribu", à toute entité faites d'hommes pétris dans le même moule paysager d'une petite vallée paisible, imprégnés de la même histoire collective mais mûs par des forces intérieures antinomiques ou des ambitions concurrentes, s'estompent. 

Hommes et femmes se rassemblent alors, par-delà les différences et les conflits, qu'ils savent faire taire, durant une trève imposée par la mort, devant laquelle les voilà soudain confrontés à leur propre destin et à ce terrible silence des yeux clos, dans le cercueil, là, devant eux.

Car la mort, malheureusement, rassemble. Elle rassemble plus encore quand le défunt a été, de par son métier ou celui de son époux, au coeur de la vie du bourg, témoin de tant de ces scènes ordinaires du quotidien d'un village dont la répétition et l'observation met au contact de ces réalités humaines, de ces comportements hérités parfois de très lointains passés, d'inimitiés héréditaires ou d'alliances ancestrales  qui font partie intégrante de l'identité locale.

Madame SCHLOSSER, parce qu'elle a, avec courage, faisant fi, aussi longtemps que cela lui a été possible, de la maladie, participé aux côtés de son mari à la marche de l'auberge, était l'exemple même de la discrétion dans l'accueil, de la délicatesse dans le service offert aux clients qui font de l'aubergiste l'indispensable tisseur de lien social, le confident des moments de solitude, de joie, de désoeuvrement, de rencontres d'affaires, de fête familiale, de communion par le sport autour d'un match vu sur l'écran géant et d'une bière entre amis...

 Les confidents sont devenus rares dans les villages où les lieux destinés à favoriser la rupture des solitudes individuelles et des angoisses, à satisfaire le besoin d'échanger, celui de dialoguer autrement qu'à travers l'écran d'un téléviseur, deviennent de moins en moins nombreux, parfois même complétement absents désormais.

Il en est ainsi à VSD où l'auberge "Le petit bonheur" comme le café "Le Villiers" restent les deux seuls encore ouverts aux villageois.

La disparition de Jocelyne SCHLOSSER, au-delà du drame familial qu'elle représente, est donc pour le village un amoindrissement, une perte conséquente. En quatre années de présence à VSD, elle avait en effet pris part, à sa place, aux côtés de son mari, à la préservation de cette vie de village sans laquelle nos communes briardes sombreraient dans la névrose, l'ennui, l'incommunicabilité entre les êtres, dans cette atmosphère presque sinistre, vide de toute animation que donnent déjà trop de petits villages de l'Aisne.

Jocelyne SCHLOSSER a su à son tour démontrer qu'un village, pour retentir des mille signes d'une résistance efficace aux menaces que les nouveaux modes de vie font peser sur lui, a besoin de toutes ses forces vives, qu'elles soient issues des plus vieilles familles, ancrées sur sa terre depuis des siècles, ou qu'elles soient issues d'apports plus récents, fruits des mouvements de population que ces dernières années ont amplifiés.

Dans la petite église si remplie de tant de villiérois, autour du maire, assise au milieu de la nef, c'était, suivant les convictions de chacun,  un au-revoir ou un adieu reconnaissant et ému qui s'exprimait ce vendredi de décembre pluvieux et frais : un rayon de soleil vint se poser quelques minutes sur le cercueil, pendant l'absoute, lueur d'assomption pour les croyants, appel à la vie qui continue, malgré la mort jamais vaincue, pour ceux qui ne croient pas...

 

 

 

Publié dans Carnets du quotidien

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