Au bonheur des cèpes...

Publié le par Michel Aêt

Villiers-Saint-Denis, terre de cèpes : de mémoire d'homme au village, rares furent les années depuis 1945 durant lesquelles les cèpes auront été si précoces et si abondants dans les bois qui nous entourent.

Pourtant, les récoltes de cèpes ont toujours été bonnes à VSD, où les sols riches, là en silice, là en calcaire, sont propices à la pousse de plusieurs espèces de bolets.

Chaque génération a compté ses connaisseurs, fins limiers d'un territoire dont ils ont arpenté , suivant des itinéraires hérités secrètement grâce à la tradition orale d'un père ou d'un grand-père, des aires explorées silencieusement, presque religieusement.

Leur pas fut et reste étouffé par cet humus profond et tiède d'août aux senteurs délicieuses de sous-bois; l'échine est courbée sous le taillis, ainsi distraite au possible regard, toujours craint, d'un rival en exploration forestière...


Sur les étals des marchés de Charly et de Château-Thierry, depuis des siècles, les cèpes de Villiers ont toujours eu la meilleure des réputations, celle de spécimens toujours mieux préservés qu'ailleurs des parasites grâce à la qualité de sols draînants, évitant le pourrissement.

Mais l'année 2006 restera dans les annales une année d'exception, qui vit les premières récoltes dès le 10 août, offrant à profusion le cèpe de Bordeaux :

    - Le cèpe de Bordeaux ou Botelus edulis, couronné d'un chapeau qui peut atteindre chez nous jusqu'à 15 cms ( 25 cms dans certaines régions plus méridionales ) , est d'un beau marron se dégradant vers le rouille.

Sa chair, blanche et  charnue, ne change pas de couleur lorsqu'on la brise.

Le cèpe de Bordeaux au pied robuste en forme de bouteille, clair  et strié d'irisations noirâtres, se rencontre dans les bois clairs de feuilllus, sur les talus de sentiers forestiers et dans les lisières, sur des portions de sols silicieux comme de sols à dominante calcaire fortement couverts d'humus, lieux tenus secrets par les connaisseurs  du village et propices à l'apparition des cèpes.

Villiers-Saint-Denis, terre de biodiversité, qu'il faut préserver et protéger, a de surcroît la particularité de recèler sur son territoire d'autres espèces de cèpes, deux au moins :

    - La tête de nègre ou cèpe bronzé ( Boletus aereus )

Son chapeau plus petit, d' un brun foncé  touchant parfois au noir, prend des formes hémisphériques à revêtement velouté.

Sa chair est blanche, ferme,
d'odeur doucâtre et de saveur quelque peu amère, de sorte que les cuisinières averties de Villiers ne les mélangent jamais dans leurs poèles avec le cèpe de Bordeaux.

On le rencontre normalement en fin d'été et à l'automne sous les feuillus, surtout sous nos chênes.

Le cèpe tête de nègre, qui reste très rare en Ile-de-France, est cependant bien visible cette année encore chez nous, dans le bois de Villiers.

Ce champignon très prisé fait l'objet de récoltes non négligeables actuellement.

 Là aussi les jeunes exemplaires "en bouchon de Champagne" sont les meilleurs.


    - Le cèpe d'été ou cèpe rétriculé ( Boletus aestivalis )

Son chapeau est d'une taille comparable à celui du cèpe bronzé, d'iun velouté craquelé, de couleur variant du beige au fauve-orangé.

Ses pores à extrèmités blanches deviennent jaunes, parfois olivâtres en vieillisssant.

Ses exhalaisons, fongiques autant que boisées, assez prégnantes,  le trahissent vis à vis du chasseur averti de champignons, qui sait humer cette odeur caractéristique.

Sa période de cueillette à Villiers se situe en septembre, lorsque la température n'est pas excessive et les nuits quelques peu fraîches mais on trouve lui aussi dès la mi-août dans nos forêts.

Le biotope qui lui sied le mieux est fait de bois aérés de feuillus tels que chênes, hêtres, charmes, etc. mais aussi on le trouve en lisière de ceux-ci.

Le cèpe d'été, appelé aussi cèpe réticulé, ressemble fort au cèpe de Bordeaux.

Il est rapidement attaqué par les limaces et devient vite verreux.

La chair est blanche, un peu moins ferme que celle du Bordeaux, parfois légèrement sucrée et savoureuse.

Il apparaît souvent après les pluies d'orages, ce qui explique probablement le curieux nom qui lui est donné à Villiers, celui de Bolet-tonnerre.

      
                                                       cèpe de Bordeaux, boletus edulisL
Le cèpe d'été, autrefois appelé " bolet-tonnerre" à Villiers-Saint-Denis


On trouve cette appellation assez épatante, au travers de la mention suivante,
figurant, à la date du 10  septembre, dans le registre tenu par le régisseur du château de Villiers en 1868, c'est-à-dire à l'époque encore flamboyante du Second Empire auquel Villiers-sur-Marne, grâce au comte de  Nieuwerkerke     a en quelque sorte appartenu  :

    " Vingt-sept livres de cèpes de Bordeaux auxquels ajoutés en surplus non facturés quelques beaux bolets-tonnerre ( 7 livres ) achetés
ce 10  septembre à Augustin R. et Joseph G., métayers, au prix de 100 francs payés en deux coupures de 50 francs en  vue du souper du 11 courant en l'hôtel de Monsieur le Comte, rue Murillo. Qualité remarquable, marchandise exempte de vers blancs ni pourriture."

Vingt-sept livres et sept livres, soit trente-quatre livres au total, impressionnante livraison, destinée à un repas prinicier tel que le surintendant des Beaux-arts de Napoléon III, ami de la princesse Mathilde, avait la réputation de savoir les offrir...

Voilà en tous cas une preuve historique de l'abondance en champignons des bois entourant Villiers, que l'année 2006 confirme, à plus de 140 ans de distance...


Publié dans Carnets du quotidien

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