La pierre de l'Ange ou la légende de la pierre luisante

Publié le par Michel AÊT

La pierre luisante fut, de temps immémoriaux, un lieu auquel s'attachèrent des légendes.  

Il est difficile aujourd'hui d'identifier celles qui ont été,  au fil des âges, les plus déformées ou  les plus enrichies d'ajouts issus de l'imagination  fantasmatique des conteurs briards, -ceux-ci se montrant friands des encorbellements qui donnent aux récits les plus sobres l'architecture intérieure de contes des mille et une nuits-, de celles où subsisteraient encore des indices, chers aux historiens et archéologues de la mémoire, de faits historiques ayant pu fonder leur construction. 

Fruits d'une tradition orale hélas rarement transcrite dans des recueils ou livres de contes tels qu'on peut parfois en découvrir sur les rayons les plus anciens de certaines bibliothèques des villes anciennes, il n'a pas été jusqu'à présent possible de découvrir beaucoup de légendes, dans les fonds existants où Villiers-Saint-Denis et ses habitants auraient pu, sous ses dénominations antérieures, avoir laissé des traces. 

Deux toutefois, il est vrai non négligeables par le rayonnement qui fut le leur et que nous ambitionnons ici de vivifier et de faire connaître, ont cependant été transcrites dans des écrits et sont parvenues jusqu'à nous. 

La première a été l'objet d'un article daté du 15 septembre 2006  sur ce site et porte sur l'existence, rapportée dans au moins 3 ouvrages connus et répertoriés, pour l'un d'entre eux au moins, dans la nomenclature d'une collection particulière accessible aux chercheurs de l'institut de recherche et d'histoire des textes médiévaux du CNRS, du triturianus alosianis monstruosus, ce triton géant à vision monoculaire dont le docteur François Georges MARI-CHARLLE, disciple  de l'entomologiste Jacques-Henri Fabre, dans un article des " Mélanges Dubost ", écrits et édités en 1966 en hommage à cet éminent médecin, a fourni une dernière description dans les années 60. 

La seconde a trait, justement, à la pierre luisante, dont la dénomination actuelle, précitée, n'est probablement pas hasardeuse et héritée d'un passé récent, mais plonge ses racines dans un très lointain passé. 

On en trouve en effet aisément trace dans un ouvrage intitulé "Petite bibliothèque à l'usage des  frères mineurs et observantins de stricte observance", édité en 1717 chez Montard à Paris, imprimeur-libraire de Monseigneur le Régent, où figure une mention de l'existence, "
à Vilers près Jouarre, d'une pierre géante, de constitution géologique mystérieuse,  en sa forêt ainsi posée qu'elle semble à certains auteurs dont Hyppolite Robert, géographe de monseigneur le prince de Condé, susceptible de porter temoignage d'une pluie de météorites abattue en plaine de Brie et certains coteaux de Marne dans le courant de la première décennie du huitième siècle de notre ère très chrétienne."

Cet ouvrage ajoute que cette chute de météorites est "mentionnée dans l'ouvrage intitulé "Concorde de la Géographie des différens âges, par l'Abbé Pluche, auteur du Spectacle de la Nature". 

Vérification faite par nos soins, cet ouvrage est effectivement présent à la Bibliothèque Nationale et se présente en un volume in-12, orné de petites cartes très bien faites pour l'époque, mais nulle mention n'y figure de cet épisode astral du haut moyen âge.

C'est là où semble apparaître la légende, dont l'origine ne peut être, en l'état actuel de nos connaissances, identifiée avant 1717.
 
Elle figure, relatée succinctement, dans un petit ouvrage manuscrit qui fut la possession d'une marquise de Beauvoir, dans le courant du XIXème siècle, puis fut volé à ses descendants. 

Du contenu de celui-ci n'est conservée dans une collection particulière qu'une longue lettre d'un des enfants de la marquise à sa  propre fille, dans laquelle on peut lire : "Cet opuscule que madame notre Mère aimait à ouvrir devant nous de temps en temps évoquait un rituel qui s'effectuait, depuis des siècles, à la saint Pierre et Paul, et consistait, pour un écclésiastique de haut rang, à asperger la dalle supérieure de la pierre d'une eau mélangée de sel et de cendres, tandis que les cavités inférieures étaient éclairées de bougies nombreuses entretenues par des femmes. 
Ce rituel se poursuivait par l'inscription de lettres d'alphabet grec et latin tracées en diagonale sur la dalle recouverte du mélange de cendre et de sel mouillé d'eau lustrale, tandis que deux clercs faisaient sept fois le tour de la pierre en l'aspergeant avec un bouquet d'hysope. 
La messe était dite ensuite sur la dalle, devant un parterre de nombreux fidèles des villages avoisinants ainsi que d'autres venant de contrées plus lointaines; la pierre luisante était ainsi considérée comme un lieu de culte depuis qu'un ermite y avait saintement vécu durant près de quinze années au VIIIème ou IXème, et avait observé que la pierre -lapis lucens- scintillait de nombreux et vifs éclats autour de la saint Paul, expression d'un message divin. La légende s'était progressivement construite alentour que cette pierre était une météorite ayant servi de véhicule à un ange   à l'occasion d'une descente sur terre, lors du rappel à Dieu d'une princesse de pays nordiques devenue abbesse à Jouarre, où elle avait pieusement vécu dans une dévotion exemplaire à notre Seigneur Jésus Christ".

Ce témoignage est passionnant et l'analyse qu'on peut en faire assez troublante, car le rite ainsi sommairement décrit par cette lettre évocatrice de souvenirs, sans doute imprécis, permet néanmoins d'identifier un rite chrétien des Origines, baptisé "l'Ordo de Vérone", et qui conduisait un évèque à pratiquer un rite d'aspersion sur un édifice nouvellement livré au culte (1). 

Ce rituel dit de l'ordo de Vérone a été longtemps pratiqué jusqu'à la fin du Moyen âge et peut-être, dans certaines régions, au-delà. Ainsi en fut-il peut-être ici, et la magie de ce rituel a laissé une empreinte dans la mémoire collective, véhiculée par les familles, jusqu'au milieu du XIXème siècle.
 
Il n'en reste désormais plus rien, sinon une pierre, toujours là, immuable, cachée au milieu des arbres, en forêt, où vont parfois jouer l'été quelques enfants, ignorant la double légende de l'ange chevauchant la pierre et du scintillement de celle-ci, autour de la Saint Paul, de mille éclats. Lapis lucens, la pierre luisante... 

Le promeneur observera la constitution de cette énorme bloc rocheux, effectivement composé de grains de quartz scintillants sous le soleil, ou lorsque le ciel offre une luminosité particulière, notamment certains ciels d'hiver, comme nous en avons récemment connus, d'un bleu limpide.

C'est à Villiers-Saint-Denis et nulle part ailleurs...

 


(1) Voir notamment à ce sujet le remarquable livre de L.DUCHENE, "Origines du culte chrétien", éditions Albert FONTEMOING, 1908

Publié dans Contes et légendes

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G
bonjour;parle t'on de la même pierre?celle qui ce trouve sur la commune de domptin,plus précisement sur le chemin qui fut naguére la route principal entre villiers et domptin?celle qui fut pendant la grande guerre le refuge de quelques soldat russes déserteur nourris par de courageuses fermieres du coin,resistantes de l'ombre et dont la lignée est toujours présente au village?parce que cette pierre,par ici les anciens l'appelle la pierre LUISEUSE!
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B
Fabuleux, cette histoire : bravo pour vos recherches historiques très documentées.Je suis admiratif car vous faites vraiement quelque chose d'utile en mettant à jour de telles légendes.Bernard
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