Qu'est-ce qu'une vinaigrie ?

Publié le par Michel Aêt

La vinaigrie est un hibryde particulièrement prolifique dans les villages; tous les villages.
Dans les quartiers de ville aussi d'ailleurs : elle n'est pas une émanation de la seule campagne française mais prolifère dans tous les lieux habités, comme l'algue taxifolia sur les fonds marins.
Elle est le mélange détonant, parfois furieux, souvent acariâtre, du pisse-vinaigre et de l'aigri(e), deux êtres courants, difficiles à domestiquer, à civiliser, à rendre présentable au commun des mortels.
Ce croisement génère des individus des deux sexes, à parts probablement égales (1) aux dires des observateurs de l'espèce, dont une délégation était de passage à VSD ces temps-ci.
A leurs yeux, pas d'inquiétude : la population des vinaigries est stable, au ratio de 3 % , et leur diagnostic ne laisse redouter aucun risque de prolifération.
La vinaigrie se rencontre le plus souvent aux entrées et sorties d'écoles, dans les villages où, faute de commerces, elles ne s'égarent hors de leur repaire que pour accompagner leur progéniture. Par bonheur, la transmission des gênes de la vinaigrie n'est pas vérifiée par les généticiens et nombre d'experts s'entendent sur le caractère non héréditaire de ses éléments constitutifs.
La vinaigrie est à l'espèce humaine ce que le bolet Satan est à celle des cèpes : d'aspect presque identique mais porteuse de substances poivrées, corrosives, astringentes.
Son aspect physique est variable, comme sa vêture, rendant l'identification des sujets aléatoire, exposant en conséquence le commun des mortels au risque permanent d'une rencontre.

Comme les cnidaires en général, êtres diploblastiques, munis de cellules urticantes et la méduse en particulier, la vinaigrie vient d'abord au contact, se faisant le moins visible voire se montrant caressante.
C'est là que, mûe par des courants internes irréfragables, la vinaigrie est saisie de pulsions sourdes et immaîtrisées, émergent du plus profond des viscères comme le calmar géant émerge soudain de l'abysse, générant la décharge venimeuse.
Le venin de la vinaigrie est verbal. On parle à son sujet d' "expulsion verbale" pour qualifier cette effusion, volcanique, de mots.
La réactivité des victimes à la production venimeuse est variable, et fonction des défenses immunitaires de chaque individu atteint.

Comme le nageur piqué par la méduse, la victime de la vinaigrie prend ensuite ses précautions.
C'est pourquoi le visiteur de nos villages observe avec le regard surpris de l'anthropologue en mission ces valses des mères de famille, cette danse de l'évitement (2), de l'esquive, qui conduit certaines d'entre elles à en éviter d'autres sur le chemin de l'école ou dans les rues du bourg.
Certains métiers à risque, faute de l'existence d'un vaccin, exposent leurs membres au danger de la maladie professionnelle transmise par la vinaigrie : la misanthropie galopante.
Il s'agit principalement et non exhaustivement bien sûr des maîtres d'école, des élus locaux, des médecins, des livreurs à domicile, des infirmières libérales, des écclésiastiques, des artisans, des postiers ainsi que des préposés relevant les compteurs à gaz.
Les remèdes à la misanthropie galopante sont frugaux : prendre un bol d'air pur, marchant  sur le chemin des vignes en croquant une grappe de raisins laissée sur le cep après la vendange, et dont le jus sucré issu de grains déjà flétris, dissout l'amertume du vinaigrin, le venin de la vinaigrie.
Par bonheur, ces chemins sont nombreux et superbes à VSD, de sorte que la misanthropie y est une maladie très efficacement combattue...

(1) Toutefois les études du laboratoire de sociologie appliquée des comportements humains atypiques de l'université de Valparaiso a fait le constat d'une longévité moindre des spécimens mâles, sujets au mal-être et rongés par la dépression alcoolique, mais il est vrai à partir de l'analyse d'une population sud-américaine aux caractéristiques physiques sans doute différentes de la population européenne, nécessitant donc une relativisation des conclusions de ces observations.

(2) Le mot évitement est à lire ici dans son acception étymologique, telle que nous la donne "Le petit Larousse": "n.m. 1.PSYCHOL.Réaction d'évitement, par laquelle un être vivant évite, apprend à éviter un stimulus donné."(Le petit Larousse illustré, 1990,p.397)

Publié dans Figures locales

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