Une croix sur le chemin...

Publié le par Michel Aêt

Les jaunes vifs dominent sur la palette du paysage villiérois de ce dimanche d’avril ensoleillé et chaud, comparable à un dimanche de juin, comme les ors domineront en juillet, lorsque les blés mûrs formeront de vastes carrés d'étoffe sur le patchwork de notre terroir.

Les tables sont sur les terrasses ou les jardins ; les repas se prennent, le soir venu, dans la fraîcheur agréable de plates-bandes à peine arrosées.

Dans l’après-midi, des grappes de promeneurs s’étaient inscrites dans la physionomie des collines, se hissant à un rythme lent vers les sommets, d’où la vue sur la vallée vint sans doute ponctuer leurs efforts d’une soudaine et superbe vision.

C’était un jour à prendre le chemin qui trouve son origine à la ruine, au dessus du Monthuit, et l’emprunter jusqu’à ce que la fatigue commence à poindre, loin là-bas, lorsque Pavant sur l’horizon semble être si près d’être atteint; puis à revenir sur ses pas et retrouver Villiers-Saint-Denis, ponctuant la perspective paysagère du retour.

On commence sa marche en longeant à gauche un bois de merisiers, de ceux qu’on baptisait autrefois « les cerisaies » : c’est une sorte de combe, où la main de l’homme n’est plus passée depuis longtemps et où les ronces gagnent, mais les troncs portent haut sur leurs branches les milliers de fleurs immaculées, dans la force extractrice d’une sève les ayant fait éclore bien au-dessus de ce roncier étouffant.

Puis, à main droite, un champ de colza dégage son odeur florale si particulière, ambiguë, acre, d'un parfum à la fois envoûtant et presque désagréable avant que ne s’aperçoive un immense champ de céréales, d’orge sans doute, qui semble, sous les infimes ondulations qu’une brise légère suscite, se porter par vagues vers les  premières maisons de Crouttes-sur-Marne, devinées, au loin, par le promeneur.

Là où le chemin de terre se divise en deux itinéraires, l’un vers Charly-sur-Marne, descendant à travers les colzas, en pente douce, offrant la promesse du bourg dès le commencement de l’itinéraire, l’autre tout droit, mettant Pavant en ligne de mire, une dame âgée a posé son sac à main sur le sol, et crayon en main, dessine une esquisse dont le thème est la croix, oui, la croix.

Les villiérois la savent là et la connaissent, discrète, à peine perceptible pour le regard qui fixe après le premier virage sur le chemin, à hauteur de la cerisaie,  le bout du chemin.

Certains au village la baptisent «la croix Sainte-Hélène», parce que Napoléon s’y serait arrêté, durant la campagne de 1814, pour y scruter le panorama sur la vallée et guetter peut-être des mouvements de troupe. On lui aura donné ce nom quelques années ou décennies plus tard sans doute, alors que l’Empereur venait de s’éteindre dans cette lointaine et inhospitalière île de l’Atlantique sud et que la Légende se bâtissait dans les campagnes de France…

Elle est un lieu de pèlerinage discret, à son image, de ces lieux qu’on vient visiter seul, dans la torpeur des jours d’été, alors que le soleil disparaît lentement derrière les collines seine-et-marnaises et que le silence gagne les champs quittés par les hommes de la terre, de retour au village.

Elle est sobre, simple, d’un métal peint couleur gris argent, de ce métal qui absorbe la chaleur du jour et la restitue à celui qui la touche d’une main confiante.

Le dessin talentueux de la dame au gilet vieux rose, que je découvre par-dessus son épaule, l’a mise en perspective sur un fond de coteaux boisés, aux tons bleu-vert.
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